Cascadeur – The Human Octopus

Cascadeur – The Human Octopus

Je me souviens parfaitement de la saveur qu’avaient nos courses folles au travers des champs de colza. On courait, on courait, à en perdre haleine, ma cousine et moi. Alors, on finissait étalées dans l’herbe grasse, à regarder défiler les nuages. Le vent balayait nos fronts comme une caresse apaisante et on refaisait tout bien le monde, pour qu’il soit le plus beau de l’univers. On passait un sale quart d’heure à se faire savonner dans le bain mais, ça ne nous empêchait pas de recommencer dès le lendemain.  Je me souviens de ma ferveur, lorsque regardant les étoiles, depuis mon lit, j’adressais mille et une prières d’amour vers le ciel. Je me souviens de l’impénétrable obscurité de la nuit et de l’horrible peur du monstre, là, sous le lit. Je me souviens aussi de cet ami qui partageait mes craintes, mes peines et mes angoisses. Il n’existait pas vraiment. Il m’accompagnait, pour de vrai, dans un coin de ma tête. Il est parti, sans que je m’en rende compte. Avec le temps, j’ai fini par oublier son nom.

Etrange début et pourtant, à l’écoute de the Human Octopus, on découvre un monde innocent et suave, puissant et vivant comme l’enfance. Pour peu que tu te laisses ravir les sens par la résonnance des notes savamment dosées, tu retrouveras des saveurs épicées uniques : ton premier bisou sur la joue, ton premier bobo, ta première grande réussite, ta première défaite, ton premier « c’est pas juste », ton premier chagrin ; le goût inoubliable des crêpes, de la pâte à tartiner,… The Human Octopus a ce pouvoir d’ouvrir les entrailles et de faire jaillir les émotions à la surface, sans qu’on comprenne comment, ni pourquoi. Into The Wild, cousine de certaines mélodies de Yann Tiersen, est une douce invite à te lancer dans ce grand voyage intérieur, à la recherche de ce monde essentiel qui sommeille en chacun de nous.  Comme dans l’écriture de Tiersen, il y a une infinie poésie et quelque chose de profondément cinématographique : Walker ou Highway 01 sont de ces morceaux si intenses qu’ils suscitent des images, au-delà des émotions. On le doit aux arrangements ingénieux, parfois peu perceptibles, qui enrichissent les compositions pourtant si simples. Non, il n’y a rien de mirobolant dans les mélodies. The Human Octopus n’en est pas moins un album d’une grâce inouïe. C’est même d’une simplicité déconcertante – tellement déconcertante d’ailleurs, qu’elle donne envie de se lever et de pousser le fameux : « Bon sang ! Mais c’est bien sûr ! » Tout est impeccablement à sa place, au bon endroit, au bon moment. Your Shadow se construit sur des phrases musicales courtes, sans grands effets pompeux. Comme un prélude de Bach à la sauce jazzy- soul, Waitin est surprenant de sensualité. Le petit jeu de syncope dans le morceau lui donne un groove à faire moover les épaules en cadences. La facture classique du piano se retrouve aussi dans Meaning, qui a l’allure, la tristesse et la volupté d’une gymnopédie de Satie. La seconde version, qui clôture l’album, est bouleversante au point de te retourner le cœur. C’est comme si des mômes reprenaient les paroles d’un parent cher, disparu, dont ils honoreraient la mémoire. Enfin, ByeBye, est une véritable réussite. Il y a quelque chose de Jay Jay Johanson, en lumineux. Le texte est triste et l’habileté a consisté, non pas à jouer la redondance avec une musicalité sombre, mais d’y opposer une ritournelle fraîche, une harpe légère, des rires et un chœur d’enfants qui s’envolent. Les larmes sont plus touchantes lorsqu’elles s’accompagnent d’un sourire…  Si on retrouve un lyrisme façon Neil Hannon (The Divine Comedy) en moins orchestré,  Il y a surtout un style affirmé, une voix aérienne, une signature, un goût unique.

Au détour du hasard, il est revenu, l’ami de toujours. Un, deux, trois – je souffle et hop ! Aussi subitement qu’un mouchoir se transforme en lapin dans le chapeau du magicien : le voici revenu !  Aujourd’hui, c’est lui qui raconte de belles histoires ; c’est lui qui livre son Monde, et catalyse nos émotions. Alors, on vibre, on tremble, on rit, on pleure… J’ai retrouvé son nom : Cascadeur, qu’il s’appelle ! C’est le poète de l’extrême.

 

 

 

 

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