Sortie de scène – Live report, from the inside

Sortie de scène – Live report, from the inside

Foutue sortie de scène. Je la hais, viscéralement.

Enfin, reprenons depuis le début. Je suis bassiste depuis maintenant six ans. J’ai joué sur scène une bonne dizaine de fois, sauf que depuis deux ans, c’est le calme plat. Du coup, quand l’opportunité s’est présentée il y a un mois, de jouer mardi soir, ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Comment décrire ça ? Tu vois le beurre de cacahuète ? Tu sais que t’aimes ça, mais si t’en mange pas pendant un moment, ça te manque pas spécialement. Bah la scène, c’est mon beurre de cacahuète à moi : il suffit que je ne joue pas pour oublier et passer à autre chose, tout en sachant très bien que ouais, c’est cool, j’adore ça, mais bon, tant pis.

Il y a un mois donc, réunion avec les mecs du groupe : « Hey les gars, j’ai un super plan pour jouer, mais c’est dans un mois, faut faire vite » « Ok, super ! Mais quels titres ? On n’a jamais joué ensemble. » « Bah euh … Vous proposez quoi ? » « Plutôt des reprises hein, les gens viendront pas pour nous, on est juste là pour animer une soirée » « Hum. Radiohead, Muse, Clapton, Gorillaz, The Doors et Archive ? » « Deal ». Et c’est parti.

Inutile de vous dire qu’apprendre sept morceaux en un mois en pleine période d’exams blancs relève du calvaire. Ajoutez à ça les répètes hebdomadaire, le stress de certains, votre propre appréhention et boom ! Un cocktail détonnant. Bien sûr, c’est sans compter sur l’alchimie du groupe. C’est fou comme dans le stress, l’urgence, on noue des liens avec des gens dont on ignorait l’existence même il y a à peine deux semaines. Partage de clopes, partage des frais de répète, entraide entre compagnons de galère : « Non mais t’en fais pas, te prends pas la tête à compter les mesure du pont sur Reckoner, je te ferai un signe quand il faudra reprendre ». Forcément, quand les morceaux se forment, quand la musique se créée, c’est un régal. Le gout du beurre de cacahuète qui revient peu à peu au bon souvenir de mes papilles. Dernière répétition, deux jours avant le soir S. Tout est carré, le chant est juste, les choeurs sont planants, la batterie et la basse se complètent à merveille et j’arrive même à me placer in extremis entre les deux jams de guitare de People are Strange. Ça va le faire et pour une fois, on est tous d’accord là dessus, control freaks et stage virgins y compris.

Balances prévues à 16h, on joue entre nous pendant que la sono s’installe. Tout se passe bien. C’est logique, tu remarqueras qu’en concert les problème techniques arrivent toujours après les balances, un fois sur scène face à cent soixante personnes qui te regardent avec des yeux ronds. Donc jusque là, rien de grave. Déjà 21h20, début de la soirée. Le premier groupe enchaîne ses propres titres. C’est du rock garage simple, efficace, un bon tour de chauffe pour le public. « On passe à notre dernier morceau », mon coeur accélère ses battements, je sens une boule au ventre. J’ai envie de sauter sur scène, de tout envoyer, d’hurler mon désir de jouer, de balancer un bon gros Mi, première corde à vide, avec la basse, l’ampli et la sono à fond, de leur faire péter les tympans. Au lieu de ça, je descends en coulisses, m’accorde pour la cinquième fois depuis que je suis arrivé, assiste aux échauffements vocaux de mes comparses. On remonte. C’est parti.

Et puis non, pas pour moi. Le premier morceau se joue sans basse ni batterie. Une reprise de Lights d’Archive, sobre, lunaire, en théorie. Dans les faits, sur le bord de la scène, j’assiste juste à une série de problèmes techniques. Un synthé inaudible, les micros qui coupent, mon coeur qui couvre le tout. Dernières notes, je monte sur scène. Hop, ampli allumé, sangle sur l’épaule, je démarre le douloureux Uprising de Muse. Ce morceau me fait souffrir. Je dois enchainer un écartement violent sans discontinuer pendant 5 minutes. L’ingénieur son me signale à plusieurs reprise qu’on ne m’entend presque pas. Finalement c’est pas plus mal. Pas plus mal, c’est le mot. Je n’arrive pas à profiter de la chaleur du public. La douleur prend mon poignet, monte jusqu’à l’avant bras, mais je ne faiblis pas, je tiens le rythme tout du long. C’est fini. Là, on va pouvoir s’éclater. On enchaîne sur Paranoid Android et là je vois le public. Je le sens, je l’entend. Une osmose comme jamais se créé à la fois entre les musiciens, et entre le groupe et les spectateurs. Sur Feel Good Inc. de Gorillaz, c’est encore plus perceptible. Je commence à balancer mon riff de basse, bien fort, bien profond, accompagné par la guitare folk, la batterie et le chant rappé. On se fait plaisir. Les gens chantent, les gens bougent, lèvent les bras. On leur fait plaisir. Ils nous font plaisir. Comme prévu, un groove génial sur People are Strange. Reckoner passe bien. Pour une fois, je pense à relancer le batteur après le pont des choeurs. Et là, stress. Il nous reste un morceau. Le synthé est essentiel sur Feeling Good. Les yeux ronds du public. On galère bien pendant deux trois minutes avant enfin de le faire entendre. Les premières notes, mes poils qui se dressent, mes zygomatiques qui se tendent. La voix du chanteur, le « and I’m feeling good », mon attaque de basse. BOOM, BOOM BOOM … La salle est chauffée à bloc, tout le monde chante, les membres du premier groupe nous rejoignent sur scène, tapent sur la batterie, c’est un foutoir génial. Le batteur veut prolonger le moment, faire durer la dernière note. J’ai envie de continuer, mais non, c’est l’heure, c’est fini. Le moment est passé. BOOM. On descend de scène, le DJ prend notre place.

On pense souvent au cliché du chanteur qui se retrouve à déprimer dans sa chambre d’hôtel à sa sortie de scène. Cliché ? Que nenni. Tu as partagé un truc génial avec tes comparses pendant un mois, avec ton public pendant ton concert, et après c’est fini. Tu te retrouves seul. Les joies de l’éphémère. Il y a bien quelques personnes pour te dire que t’as assuré, ça te fait plaisir mais ce que tu veux à tout prix à ce moment là, c’est remonter sur scène. Donc tu descends en coulisse, rejoint par d’autres membres du groupe. Tu discutes du set avec eux. Bien sûr, on s’est chié dessus, c’était probablement en dessous de toutes les répètes qu’on a pu faire, mais t’as pris ton pied, eux aussi et surtout, le public aussi. Tu leur demandes s’ils voudraient remettre ça à une autre occasion. Tu y crois. Pour tenter de prolonger le moment, tu fais un boeuf guitare/voix avec eux en coulisse. T’as bien essayé de danser avec les gens en haut, mais c’est pas ton truc, dans ta tête t’es encore manche en main, à t’éclater les doigts sur les cordes.

Tu restes le plus longtemps possible, pour faire durer le moment, mais tu sais que ce n’est qu’illusion. Ca fait déjà trois heures que t’es sorti de scène. Et tu finis par rentrer, seul.


Photo : CC by marfis75

Ancien tenancier de Cosystreet, Griffoooo se passionne pour la musique, celle capable de l'émouvoir et de le transporter. Cette même musique, qui a le pouvoir de surprendre ou qui sait réveiller chez vous une sensation enfouie depuis trop longtemps ... Il en dit plus sur son Blog et moins sur son Twitter.

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