Entretien avec Jay-Jay Johanson // Cockroach

Entretien avec Jay-Jay Johanson // Cockroach

Cela fait plus de 15 ans que j’écoute Jay-Jay Johanson, que je suis ses diverses mutations. Du chanteur polymorphe à l’artiste peintre, je voulais percer le mystère et croiser le chemin de ce créateur. Alors quand on m’a proposé de l’interviewer, j’avoue sans retenue que j’ai sauté sur l’occasion de le rencontrer.
De passage à Paris pour la promo de son 9ème album, « Cockroach » (traduction cafard), le chanteur suédois à la silhouette elfique s’est livré en toute simplicité aux questions d’une bloggeuse, un rien un peu « fan ».

 

 

Gene : J’ai assisté à votre concert parisien au Café de la danse en  avril dernier et je l’ai beaucoup apprécié. Durant ce concert, il y a eu la projection de différents portraits, et comme j’en ai l’occasion aujourd’hui, j’aimerais en connaître le sens.

 Jay-Jay Johanson :  Ce film c’est tout d’abord un énorme projet qui nous a été inspiré par Andy Warhol. Il avait une imagination incroyable qui s’exprimait de différentes façons : d’une manière « underground » ou encore par son art de la répétition, du sampling. J’aime vraiment cette façon d’avoir crée « Factory », qui était en quelque sorte un espace multiculturel, qui n’était pas seulement lié à l’art mais qui attirait tous ceux qui pouvaient avoir une idée. Chacun avait l’opportunité d’utiliser son studio pour produire son œuvre quel quelle soit.

Enormément de personnes sont passées à la Factory et tous ceux qui y sont allés, il les a fait s’asseoir devant la caméra et il a utilisé une bobine de 6mm et les a filmés pendant 3 minutes et s’il leur arrivait de bouger, c’était au ralenti et la durée passait à 5 minutes. Toujours en plan fixe, en une seule séquence. Fixant la caméra, s’ils le souhaitaient et sans aucun jeu d’acteur. Il y a deux ans, je suis partie de cette idée de documentaire où je filmais mes proches, famille et amis. Je voulais juste les faire s’asseoir et prendre 3 minutes à 5 minutes de leur temps et de leur vie. Et c’était au moment où je fais la chanson « On the other side ». Je pensais aux gens que j’avais envie de rencontrer de l’autre côté de la vie, en référence à la chanson que j’écrivais. La réponse m’est apparu évidente, c’était mes amis. Nous les avons donc filmé chacun durant 3 minutes, j’ai aussi filmé ma femme et mes enfants. Mais les enfants n’étaient dans le film projeté au Café de la danse, ma femme oui. Le film original est d’une heure avec 5 minutes par portrait.

Nous avons réadapté le format pour le projeter lors du Spellbound Tour. Ce film est vraiment un hommage à Warhol et il signifie beaucoup pour moi car j’ai filmé les amis qui m’étaient les plus chers. En faisant cette projection pendant le concert, je pensais que ça aurait un effet intéressant et expérimental sur le public. Habituellement, les gens viennent pour voir ton concert et restent statiques. J’aimais l’idée qu’ils se sentent observés et d’inverser les rôles à la façon d’un Big Brother.

 

Gene : Au regard de votre discographie pour le moins éclectique, comment avez-vous abordé la création de « Cockroach » et comment  définiriez-vous cet album ?

 Jay-Jay Johanson: Mon idée principale pour cet album… Disons que ça fonctionne à plusieurs niveaux pour moi. La première partie dans la création de ma musique, ça commence toujours par les paroles et puis la mélodie. Et cette méthode d’écriture a toujours fonctionné de la même manière depuis que j’ai commencé en 1995. Cela se passe toujours quand je suis seul,  très souvent quand je suis dehors, que je marche, quand je voyage, quand je suis assis seul dans une chambre d’hôtel quelque part dans le monde… et c’est à ce moment que les fragments de mélodie me viennent que je les assemble.

Pour celui là, je n’ai pas eu de réelle inspiration ou d’influence particulière.  Je les conserve jusque là volontairement bruts et naturels. Ce n’est que lorsque j’arrive en phase de production et d’arrangements que beaucoup d’influences peuvent apparaître. A travers toutes ces années, j’ai été influencé par des bandes originales de film composées par John Barry, Ennio Morricone ou encore Michel Legrand.

Mais il y a eu aussi beaucoup d’autres styles de musique. Au début, c’était plutôt une influence Mo’Wax, Portishead, Massive Attack, la scène trip hop des années 90 et puis c’est devenu plus électro et j’ai évolué par la suite vers quelque chose de plus expérimental et même pop musique.
Je pense que la production et les arrangements sont plus créatifs en studio car je suis avec mes musiciens et nous travaillons sur des sections rythmiques très recherchées.

Très souvent, je commence à les faire moi-même, avec une boîte à rythme et un micro que j’ai chez moi, qui s’apparente plus à des jouets. Rien de comparable avec le matériel que nous avons en studio. Quelques fois quand je suis chez moi, en pleine nuit, quand ma femme et mes enfants dorment, il m’arrive d’enregistrer une version plus sensible et intense que celle que j’aurais jamais en studio. Il nous arrive de garder ces démos.

Pour moi, cet album est différent d’une certaine manière, je le vois par rapport au développement du précédent album « Spellbound ». Cochroach est en quelque sorte dans la continuité. Le dernier morceau composé de « Spellbound » était Dilemma.

Au début quand j’ai fait « Spellbound », j’étais axé sur des chansons vraiment épurées, avec seulement en guise d’accompagnement,  la guitare acoustique et le piano. S’il y avait besoin de percussion, c’était léger, un peu de taping. Mais quand on a fait Dilemma, j’ai vraiment voulu ramener toutes les percussions quand nous étions au studio et en travaillant dessus, je me suis dit, mince c’est vraiment comme ça que je veux concevoir le prochain album. C’est comme cela qu’est né le début de « Cockroah » et peut-être que Dilemma aurait pu figurer sur le dernier album.

Ce cas de figure m’arrive souvent car j’ai une écriture qui reste constante et donc entre deux albums, il y a forcément un lien. Je ne sors pas un album et j’arrête pendant 7 ans. Souvent il est difficile de définir où commence la création d’un album et où elle s’arrête. C’est vraiment après la tournée de « Spellbound » que je me suis rendu compte que j’avais envie de continuer à rajouter des percussions et de suivre tout naturellement la voie de Dilemma.

 

Gene : En zoomant un peu plus sur chacun des morceaux, quelle teinte vouliez-vous donner à l’album ?

Jay-Jay Johanson : Après « Antenna », nous avions moi et mes musiciens en quelque sorte banni de notre musique tous les effets synthétiques et électroniques. C’est donc la première fois que nous avons réintégré les synthétiseurs au studio. Cette fois, je voulais avoir quelque chose de très humain et travailler dessus comme si c’était un instrument acoustique. L’idée était de prendre chaque corde, comme au piano et j’ai décidé de séparer chacune des notes et de m’amuser à les répartir par instrument. Ca a permis d’enrichir la texture, et de travailler plus comme on travaille dans la musique classique. Le synthétiseur pour cela, est vraiment un outil très intéressant et j’aime aussi le fait d’être revenu sur ma réticence à l’utiliser car j’ai horreur de me dire que je hais quelque chose.

Par exemple, l’un des instruments que je déteste est le Didgeridoo (instrument aborigène). Je le déteste depuis toujours (sourires). Et je me suis dit un jour mais pourquoi le détestes-tu autant ? Est-ce qu’il n’est pas meilleur de le prendre et d’en faire quelque chose d’agréable ? Si j’utilisais cet instrument d’une belle façon et dans cette chanson intitulée Antidote, il y a ce Didgeridoo tout au long du morceau en fond sonore, très discrètement. Le fait que j’ai ramené quelque chose que je n’aime pas dans le studio, c’est grâce à mon batteur qui sait en jouer et qui a rajouté ce long passage. Et maintenant, je me dis que je ne le déteste plus. C’est agréable de te soulager en te débarrassant de quelque chose que tu détestes pour réaliser que c’est bien.

 

Gene : Appeler son album « cafard » c’est plutôt étrange, non ? D’où vient ce nom  “Cockroach” ?

Jay-Jay Johanson : C’est lié au fait que les cockroaches  (les cafards), ce sont des animaux que tout le monde déteste. On a envie de les écraser et de les tuer. Je me suis dit, faisons quelque chose de beau. Et les gens me disent maintenant, j’aime « Cochroach » et ils ne perçoivent plus le nom comme négatif. Ce nom fait allusion à la résistance de cet insecte qui est censé être le dernier spécimen capable de survivre à tout, même à une explosion atomique. En fait, je me sens un peu comme un cafard, dans le sens où je pensais sortir deux ou trois albums mais maintenant je suis là avec mes 18 ans de carrière et je commence à me sentir comme un cafard capable de survivre à tout (rires). Ce titre a plusieurs significations pour moi.

 

Gene : Comment avez-vous composé vos morceaux ? Est-ce un travail plutôt solitaire ou inversement un moment avec vos musiciens notamment avec votre pianiste Erik Jansson ?

Jay-Jay Johanson :  Spécialement maintenant parce que je connais très bien mes musiciens, je sais exactement ce qu’ils vont faire. Quand je le fais chez moi, je sais quelles vont être leurs réactions principalement quand il est question du tempo avec mon batteur ou encore avec mon pianiste.  Je ne suis pas un bon pianiste mais j’arrive à enregistrer ma voix et quelques mesures afin d’avoir une idée de la structure du morceau.  Je savais ma mélodie sera embellie et sublimée par un jeu de piano bien meilleur que le mien.

C’est aussi le cas quand je travaille avec mon arrangeur. Pour I miss you most of all , je lui ai joué une petite partie de la bande originale de la série ”Twilight Zone”, une série télé américaine des années 60. La musique y était monotone mais aussi variée avec différentes directions. Je voulais que ce morceau soit suffisamment riche.

Si on parle uniquement de  I miss you most of all, sur ce morceau, je ne voulais pas d’autres instruments que la batterie et le flux de l’orchestre pour composer la base du morceau. Nous avons recouvert la base et toutes les parties du morceau par une imposante construction d’arrangement. Nous avons joué différentes combinaisons et il les a regroupées toutes ensemble et il est arrivé au résultat que j’attendais. Une ligne de batterie, un ensemble d’orchestre et ma voix.

Donc, mes musiciens me connaissent autant que je les connais, ce qui facilite énormément notre travail ensemble.

Par exemple, plusieurs des titres qui figurent sur la plupart de mes albums sont des titres co-écrits avec mon pianiste, Erik Jansson. Nous sommes vraiment amis depuis plus de 20 ans et nous nous connaissons très bien.

Par exemple,  les titres Antidote et On the other side sur Spellbound, nous les avons écrits ensemble. C’était lors des balances, je ne me souviens plus dans quelle salle ou quel pays mais Erik était assis et il s’amusait à battre la mesure (il commence à faire des percussions sur le coin d’une table…) je lui ai alors dit : « Refais-le, refais-le… encore une fois… » et puis j’ai commencé à chanter sur cette base et nous avons écrit en une heure ce morceau pendant les balances.

Pour  On the other side, cela a été approximativement la même chose. Nous avons commencé à écrire ce morceau pendant les balances et j’ai posé ma voix sur les arrangements de piano d’Erik et on a fini très vite les balances pour rejoindre la chambre d’hôtel et écrire ensemble les paroles et la mélodie. J’ai écrit de longues paroles et j’ai d’ailleurs dû les couper et les retravailler pour ne garder que les couplets essentiels. Quelquefois, un album peut prendre peu de temps comme là, mais cela peut être complètement l’inverse comme pour « Dilemma ».

 

Gene : J’ai beaucoup apprécié le titre « Dry bones »  pour son inspiration «  rythm’n blues « , quelle est l’histoire de cette chanson ?

Jay-Jay Johanson : Vous savez, je n’ai pas écrite celle-là. C’est une chanson qui était habituellement chantée par les esclaves, il y a environ 130 ans. Le premier enregistrement de cette chanson doit remonter aux années 20. Mon père qui était un grand amateur de jazz avait l’habitude de  jouer ce morceau à la maison quand j’étais enfant. Et cette chanson a vraiment marqué mon esprit comme la plupart des choses liées à l’enfance. De plus, cette chanson est très répétitive avec l’énoncé de tous les os constituant le squelette humain. Pendant l’enregistrement de Cockroach, il y a toujours ces moments de break pour manger un morceau et se détendre. Et moi, je restais au studio et j’enregistrais juste pour le plaisir des titres comme ça et avec Dry Bones, je l’ai chanté 4 fois avec différentes variations. Et quand les musiciens sont revenus, je leur ai présenté. Ils m’ont tous dit de façon unanimes tu dois la mettre sur ton prochain album. Cette chanson signifie beaucoup parce que mon fils la chante et que les paroles sont extraites de la Bible et du Negro Spiritual. C’est très drôle car j’ai à la maison un fils qui a 6 ans et qui déteste ma musique. C’est un grand critique. Il me dit souvent pourquoi écris-tu de la musique aussi ennuyeuse, il est plus attiré par Daft Punk, Kiss mais quand il a entendu Dry Bones, il m’a dit :  « Papa, c’est vraiment très bon, je veux la réécouter, je veux la réécouter encore… ».

Je me suis dit que si les enfants voulaient la réécouter sans cesse c’est qu’elle avait quelque chose de particulier qui retient leur attention. Les enfants ne sont pas stupides.

J’ai aussi vu un tweet de JD Beauvallet des Inrockuptibles, qui disait vraiment apprécié Dry bones. Bref, si ce morceau arrive à capter l’attention d’un enfant de 6 ans et de JD Beauvallet , c’est qu’il a quelque chose d’intéressant…non ?

 

Gene : Quels sont les prochaines dates de concert en France ?

Jay-Jay Johanson : Ma prochaine date sera Le Trianon à Paris le 11 décembre. Nous allons faire d’autres dates en province, comme à Lyon. Le Spellbound Tour comportait 10 dates en France alors que les tournées de Poison et de Tattoo représentaient au moins 35 dates chacune. J’aimerais vraiment en faire plus et retourner dans des villes plus petites comme Sète et ces endroits magnifiques où finalement peu d’artistes internationaux vont. Ce sera bien.

Nous avons expérimenté pour les prochaines dates,  des morceaux plus rythmés et ce sera d’ailleurs la grande différence avec la tournée de Spellbound. Je suis en train d’expérimenter quelques concerts avec deux batteurs et c’est assez efficace. Je pense que je vais essayer pour les prochains concerts notamment en France.

 

Courez vite voir Jay-Jay Johanson en concert au Trianon le 11 décembre  2013 à l’occasion du Winter Camp Festival qui se déroulera du 10 au 14 décembre 2013.

Pour découvrir toute la programmation de ce festival  : http://www.wintercampfestival.fr/

L’album Cockroach de Jay-Jay Johanson est disponible depuis le 24 septembre 2013 : https://itunes.apple.com/fr/album/cockroach/id686541042

 

 

 

 

 

 

 

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